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Un Breton voyageur devenu "horticultural therapist" Outre-Manche

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La première fois que Frédéric Gabellec a quitté la France pour explorer le monde, c’était déjà pour une aventure horticole. Ses diplômes « Jardins et Espaces Verts » en poche, il a envie d’aller voir ailleurs. C’était il y a bientôt 30 ans aux Etats-Unis... Ses multiples expériences professionnelles l'ont incité à s'investir dans une horticulture tournée vers l’humain, qu'il pratique aujourd'hui en Angleterre.  

Frédéric Gabellec a commencé sa carrière internationale dans l’Oregon aux Etats-Unis. « J’ai travaillé pendant un an dans une grosse pépinière avec un visa étudiant. C’était dans la petite ville de Boring près de Portland et du Mont Hood. La culture en pleine terre, le pest control, l’expédition, j’ai vu tout cela de A à Z. Mon but était aussi de pratiquer l’anglais. J’ai rencontré des étudiants de pleins de nationalités. Ce fut une expérience professionnelle et humaine, une année loin de ma famille, qui m’a ouvert les yeux au monde », se souvient-il lorsque nous discutons un samedi matin au début de l’été en visio. Puis après un retour en France pour le service national, encore obligatoire à la fin des années 1990 – il est affecté en grande partie à l’entretien de jardins à Lorient, le voilà reparti en Australie pour un an.

Une première expérience dans la « social horticulture »

Nouveau retour en France et nouvelle opportunité qui va l’aiguiller pour la première fois vers une horticulture tournée vers l’humain. « L’hortithérapie a commencé par hasard. J’ai contacté un ancien maitre de stage qui travaillait dans un CAT (les centres d’aide par le travail, aujourd’hui renommés établissements ou services d’aide par le travail ou ESAT). Ce n’était pas évident car je n’avais pas d’expérience. Mais ce premier contact a été une bonne introduction. Puis j’ai fait d’autres CDD dans la région de Lorient. » Pour décrire la suite, il doit passer à l’anglais comme beaucoup d’expatriés qui naviguent entre deux langues. « Itchy feet », littéralement les pieds qui démangent. La bougeotte !
Cette fois, direction le Canada qui lui tend les bras car on recherche de la main d’œuvre dans le pays à l’époque. Le Québec d’abord, puis l’Ontario anglophone où il prend des responsabilités dans une pépinière qui lui confie aussi des tâches commerciales grâce à sa maitrise du français. Il passera au final 5 ans au Canada. Avant de le quitter, il a préparé son retour en Europe : un job l’attend chez Hillier Nurseries, une pépinière implantée dans le Surrey et tenue par la même famille depuis plus de 100 ans.

11 ans à cultiver l’autonomie de personnes handicapées

C’est là que l’hortithérapie lui revient à l’esprit et commence à le « titiller ». Dans le Surrey où il vit toujours aujourd’hui, il s’implique dans une association caritative, The Grange at Bookham for People with Disabilities. « J’ai travaillé 11 ans auprès de personnes handicapées qui étaient résidentes et avaient des activités journalières. On ne peut parler d’hortithérapie, mais l’horticulture s’est développée au fur et à mesure. On enseignait différentes tâches tout au long de l’année : semis, repiquage, plantation, rempotage jusqu’à la récolte.
Au lieu de regarder le handicap, nous cherchions les aptitudes et nous nous efforcions d’adapter les tâches. Il s’agissait de promouvoir l’indépendance et de les laisser faire. S’ils terminaient la journée avec le sourire, nous avions fait notre boulot », raconte Frédéric qui, de son côté, apprend la patience auprès de ces élèves qui ont besoin d’explications simples pour comprendre que, finalement, la nature prend son temps.
« Ce fut une bonne expérience qui m’a ancré dans l’idée qu’avec l’horticulture thérapeutique, on peut faire pleins de choses avec peu de moyens. C’était aussi un travail sur soi. Au lieu d’aller vite dans les tâches comme dans mes autres boulots, il fallait ralentir et m’adapter en apprenant à les connaître. Des liens se créaient. Cette expérience m’a ouvert les yeux sur ces personnes. Ca ne s’apprend pas à l’école. Je ne savais pas que j’avais en moi cette capacité « to care for », de prendre soin des personnes et des plantes pour leur donner tout ce qui leur est bénéfique et les soutenir ».

Back to school avec Thrive et l’Université de Coventry

En 2014, Frédéric s’inscrit pour une formation de 10 mois dispensée par l’Université de Coventry, l’association Thrive et le Pershore College dans les Cotswolds. « En 2015, j’ai obtenu un diplôme professionnel de niveau 3 en « Social and Therapeutic Horticulture ». La formation était un mélange d’ateliers et d’études de cas sur le terrain. » Aujourd’hui, Thrive offre sa propre formation en deux ans.
Après 11 ans dans l’association The Grange, Frédéric a envie de travailler avec un nouveau public : les vétérans. « Un de mes collègues de la formation quittait son travail pour une association de vétérans, Gardening Leave, et j’ai repris son poste. Je ne connaissais pas la vie des soldats à part ce qu’on voit dans les actualités.
En tant que civil, je devais établir la confiance avec ces gars, ces militaires qui décrivaient leurs expériences en Afghanistan ou en Irak. On en prend « plein la gueule ». Pour eux, venir en transport en commun était difficile à cause de la foule. Ils étaient hyper vigilants. » Avec ces soldats pour beaucoup traumatisés,
Frédéric pratique l’hortithérapie : du semis et du repiquage pour se concentrer dans le moment par exemple. « On préparait notre déjeuner ensemble, on faisait la vaisselle. Ils se sentaient protégés. Cela a été une de mes meilleures expériences malgré sa courte durée. Car malheureusement, les cinq sites de l’association en Angleterre et en Ecosse ont dû fermer faute de moyens. Qu’est-ce qu’il y avait après pour eux ? »

Formation à l’horticulture derrière les barreaux

Faute d’opportunités dans l’horticulture thérapeutique et sociale près de chez lui, Frédéric retourne un temps à l’horticulture tout court comme « head gardener » dans un domaine privé de 4 hectares. Mais il se lance bientôt dans une nouvelle aventure dans « Her Majesty’s Prison and Probation Service (HMPPS) » comme instructeur en horticulture. « Dans cette prison de 200 femmes, nous formions à l’horticulture comme un potentiel métier, avec des diplômes de niveau 1 et 2. C’était beaucoup plus cadré. Mais ce n’est pas facile d’être dans le froid et la pluie quand on n’a pas l’habitude. Il était nécessaire de motiver, de persuader. Il fallait établir de bonnes relations professionnelles en tant qu’instructeur sans juger. Ce poste m’a ouvert les yeux sur la violence domestique et des difficultés qui sont décrites de manière très succincte à la télé. J’ai appris ce que ce sont l’automutilation, les tentatives de suicide et aussi comment fonctionne le système carcéral. Ce n’est pas toujours joli. Souvent nous n’avions de nouvelles par la suite. Je suis parti sur une satisfaction. C’était « rewarding.»

The French Gardener : une nouvelle aventure

« Je me suis mis à mon compte comme paysagiste en 2018 », explique « The French Gardener ». Mais une partie de son activité reste dédiée à l’horticulture tournée vers l’humain. « The Abbey School est une école secondaire qui accueille des enfants de 11 à 15 ans avec des « special needs » (autisme, troubles de l’apprentissage). J’y travaille comme « horticultural instructor » depuis 2018. Une fois par semaine, ils viennent dans un « sensory garden » où on apprend le b.a.-ba de l’horticulture sans vocabulaire technique. De septembre à juin, aidé par un « teaching assistant », j’accueille huit gamins avec des aptitudes diverses. Ils obtiennent une qualification (ASDAN) qu’ils pourront utiliser par la suite. » Avec leur instructeur, les jeunes apprennent à travailler avec les saisons, d’où viennent les fruits, comment poussent les plantes. Ils apprennent à comprendre la nature. « Nous goûtons les fraises, les petits pois. Nous faisons la classe à l’extérieur. Nous avons un abri avec l’électricité. Mais nous sommes surtout dehors dès que nous pouvons. Je leur donne du travail à la maison comme observer le jardin de leurs parents ou de leurs grands-parents ou bien écrire sur ce que leur apporte le jardin. »
En 2019, Frédéric ajoute une nouvelle activité au sein d’une association caritative implantée à Dorking, la Patchwork Academy. Là encore, il s’agit de former et d’accompagner vers des diplômes de niveau 1 et 2 en horticulture. Mais cette fois, les étudiants sont des adultes de 30 à 60 ans vivant avec des troubles psychiques tels que des troubles anxieux ou des troubles de stress post-traumatique (TSPT ou PTSD en anglais). « Nous sommes trois instructeurs et examinateurs. » Pour vous plonger dans l’ambiance, voici quelques photos partagées par Frédéric.
« Depuis le mois mars, j’ai une nouvelle activité comme « social and therapeutic horticulture practitioner » avec le Petworth Community Garden. L’objectif est d’aider des personnes qui ont des ressources financières limitées à accéder à des fruits et légumes frais. Ce n’est pas une formation, mais nous apprenons le le b.a.-ba du potager et de la récolte. Nous travaillons aussi l’aspect social en travaillant et en mangeant ensemble avec les participants. »

Isabelle Boucq

Article paru sur le blog "Le Bonheur est dans le jardin".

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