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"La Chaire Agricultures urbaines a une vocation multi partenariale"

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Christine Aubry, directrice de la Chaire Agricultures Urbaines nous en explique la génèse et détaille les travaux actuels et à venir, à l'occasion des 5 ans de sa création. Elle ouvre des perspectives et reste très lucide sur les freins encore à lever pour le déploiement de nouvelles formes d'agriculture. La spécialiste, experte de ces sujets livre à agri-city.info sa vision, avec réalisme et sincérité.

Comment est née la Chaire Agricultures Urbaines ?

Créée en 2018, la Chaire Agricultures Urbaines "Services écosystémiques et alimentation des villes" est née autour d'une équipe de recherche au sein de INRAE- AgroParisTech. Les réflexions préalables avaient donné lieu en 2015, à la création d’une autre structure, Exp'AU, pour accompagner les demandes des collectivités, des bailleurs sociaux, comme des aménageurs… sur l’agriculture urbaine...  tel un bureau de recherche et d'expertise. La Chaire est née ensuite du constat que l'on avait énormément de difficulté à financer des recherches et notamment des recherches exploratoires sur ces sujets et par ailleurs, qu’il y avait un réel intérêt de certains acteurs. Elle a également créée en parallèle le réseau AUPA - Agricultures Urbaines et Précarités Alimentaires. Trois constats nous ont amené à monter ce réseau. Le premier est qu'il existe aujourd'hui de nombreuses formes d’agricultures urbaines qui s'introduisent sur des marchés de niche, vendant des produits à haute valeur ajoutée et augmentant par conséquent les inégalités alimentaires en ville. Le second est que de nombreuses populations des quartiers prioritaires politiques de la ville (dits QPV, ndlr) sont en demande de formes d’agriculture urbaine (notamment de jardins collectifs). Enfin, les dispositifs institutionnels d’aide alimentaire connaissent de nombreuses limites dont celle de ne pas fournir assez de produits frais à des populations qui en ont grand besoin. Grâce à ce réseau, les acteurs concernés par la  thématique se rencontrent, échangent, présentent leurs actions, les contraintes rencontrées et ensemble tentent de construire des projets, des stages voire des plaidoyers pour porter leur voix dans la sphère publique. 

Quelles sont les missions de la Chaire ? 

Nous avons pour vocation d'accompagner le déploiement de l'agriculture urbaine au service de la résilience des villes. Nous avons trois missions clefs. D'une part, la promotion d’un alimentation de qualité pour tous. Ensuite, l’évaluation des services socio-économiques. Enfin, l'analyse des rôles environnementaux et en filigrane la volonté de produire des outils d'accompagnement pour les institutions, les porteurs de projets, ou  toute personne-organisme curieuse d'en apprendre plus sur toutes les dimensions de l'agriculture urbaine.
Nous avons trois leviers d'actions pour atteindre notre ambition qui sont  la recherche, la recherche action via des stages, projets d’ingénieurs, doctorats, post-doctorats. Nous avons par exemple, une thèse sur la durabilité des fermes intra-urbaines professionnelles par Paola Clerino, soutenue en janvier 2023, une en cours sur la transmission des savoirs culinaires et culturaux en contexte migratoire au sein de jardins collectifs à Stains et à la Réunion, par Noémie Beaubert, et un post-doctorat sur l’évaluation de la biodiversité générée par les toitures en milieu urbain, par Sekou Coulibaly, financé par la Fondation Paris Habitat. 
Nous portons un programme de recherche action avec le Lab3S autour du couplage entre ateliers culinaires et ateliers au potager. Il s’agit d’expérimenter comment le couplage entre autoproduction au sein de jardins collectifs urbains et cuisine partagée peut favoriser la transmission de savoirs culinaires et culturaux.
Nous avons aussi une mission de formation des collectivités territoriales : elle est organisée et financée par notre partenaire la Métropole du Grand Paris en partenariat avec la Chaire, Exp'AU et l’AFAUP, sur notamment la question de la pollution des sols en agriculture urbaine (via SecurAgri) ou encore les aspects juridiques.
Et également une mission d'animation de réseau, en référence au Réseau AUPA qui réunit une diversité d'acteurs (associations, ONG, bailleurs, collectivités, chercheurs) souhaitant au travers de leurs actions quotidiennes faciliter l'accès à des produits frais et de qualité aux publics en difficultés financières et sociales. De par le lien à la production agricole, il s’agit pour la Chaire de favoriser l’approvisionnement et l’accès des produits issus des agricultures urbaines à des publics en situation de précarité alimentaire. 

Qui sont les partenaires engagés dans la chaire ?

C’est une chaire partenariale de mécénat, c’est-à dire que des partenaires (mécènes et de terrain) s’associent à un établissement d'enseignement supérieur et de recherche pour faire avancer une thématique donnée, dans notre cas l’agriculture urbaine.
Portée par la Fondation AgroParisTech, en passe de devenir Fondation Reconnue d’utilité publique (FRUP, ndlr), toutes les connaissances produites sont au service de l’intérêt général et amenées à être diffusées au plus grand nombre. Les partenaires (Métropole du Grand Paris, Fondation Carrefour, ville de Paris, Groupe Groupama, Fondation Paris Habitat, Gret, Lab3S) s’associent donc à cette démarche. Nous avions clairement identifié ce besoin-là, à la fois de financement mais également de mise en réseau, pour des aspects des recherche à long terme... Même s'il existait déjà d'autres chaires bi-partenariales à AgroParistech, celle-ci était unique par ses partenariats multiples. Et très vite nous avons eu des besoins de financement, de post doctorat, de travaux de recherches exploratoires. Un des premiers concernait par exemple la question du jardinage en ville et la transformation des produits, un travail d’ingénieur qui a fait des petits. Ce qui a donné lieu à la création de AUPA et cela a suscité de nouveaux besoins. Nous sommes bien entendu en lien avec le Lab recherche environnement, entre AgroParisTech, l'école des Ponts et VINCI. Cette chaire a financé par exemple la thèse de Erika Door sur les analyses de cycle de vie (ACV) de l'agriculture urbaine, qui correspondait à des compétences dans la construction, de l’architecture.

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Quels sont les projets sur lesquels vous avez travaillé et ceux en cours? 

On a de très nombreux projets, et accueillons aujourd'hui entre cinq et sept stages par an. Nous avons trois thèses actuellement, également un  "post doc" depuis dix-huit mois qui étudie les questions de biodiversité. Nous finançons le travail de recherche que Fanny Provent réalise sur la logistique de l’agriculture urbaine (voir notre article, ndlr). Nous avons attiré d’autres acteurs, même si  historiquement c'est la Fondation Carrefour qui a été moteur. Nous avons des entreprises de l'immobilier comme de l'assurance qui s’intéressent beaucoup à la question de biodiversité en ville. Nous sommes bien conscients de l’intérêt des acteurs de la ville pour à la fois valoriser dans leurs programmes la présence de l’agriculture urbaine mais aussi pour rendre d'autres services au-delà du simple quartier. La ville détruit la biodiversité donc si on la remet, tant mieux ! Le droit à construire devrait être accordé en fonction du fait de ramener de la biodiversité, Il y a de multiples façons de traiter cette question et nous n'en sommes encore qu'au début. Sur ces thématiques, nous sommes en lien avec nos collègues de la Chaire comptabilité écologique, particulièrement.

Comment voyez-vous l'évolution de la chaire dans les 5 ans à venir?

On est face à un sujet politique majeur. La question alimentaire aussi bien d'un point qualitatif que quantitatif, comme l'éducation à l'alimentation,  reprend une ampleur considérable et les liens entre agriculture intra-urbaine, et métropolitaines aussi. La Chaire, avec le transfert de connaissance et la formation des acteurs a un rôle important à jouer. L'alimentation de tous est au centre du sujet. L'agriculture traditionnelle doit se reconnecter à la ville. On doit se poser la question de l'intérêt des différents modèles. Ce bouquet de services des agricultures urbaines, avec les Projets alimentaires de territoire, peut être vu comme un complément d'une agriculture qui doit retrouver sa vocation première. Aujourd'hui, il y a une incapacité en France à penser d'autres systèmes que des systèmes uniquement marchands. On ne sait pas approvisionner avec des produits frais à des prix corrects, avec une agriculture de proximité. La construction des prix de l'alimentation est un sujet clef. Un autre sujet majeur est celui de l'emploi et de la main d'oeuvre, qui se pose en milieu rural également. Il y a aussi un vrai questionnement autour de l'insertion et il faudrait savoir quelles sont les entreprises d'agriculture urbaine qui ont un rôle réel dans ce domaine là !  

Propos recueillis par Claire Nioncel
 

Exemples de projets 
Promotion de produits sains et de qualité pour toutes et tous Précarité alimentaire :
Animation du réseau AUPA
Liens entre autoproduction et transformation alimentaire : Programme de recherche action du Potager à la marmite à Bondy Nord porté par le Lab3S
Transmission de savoirs culinaires et culturels : Thèse en cours sur la transmission des savoirs culinaires et culturaux en contexte migratoire au sein de jardins collectifs à Stains et à la Réunion, par Noémie Beaubert
Gestion de la pollution pour des produits sains : soutien au lancement de la plateforme SecurAgri, coordonnée par Anne Barbillon
Analyse des rôles environnementaux 
Biodéchets/ International : Soutien d’une action de terrain pour la thèse sur la valorisation des biodéchets en République du Congo, par Noémie Regard
Biodiversité : 1 post-doctorat en cours sur l’évaluation de la biodiversité générée par les toitures en milieu urbain, par Sekou Coulibaly, financé par la Fondation Paris Habitat
Rôle socio-économiques des agricultures urbaines
Santé : Impact de l’hortithérapie sur l’anxiété des patients au CHU de Montesson, par Camille Bouriant.
Durabilité : une  thèse sur la durabilité des fermes intra urbaines professionnelles intitulée « Conception participative d’un outil d’évaluation de la durabilité des projets d’agriculture intra-urbaine professionnelle » par Paola Clerino, soutenue en janvier 2023
Pour aller plus loin 

Christine Aubry est ingénieure agronome, Docteure en agronomie (AgroParisTech) spécialisée dans l’agriculture urbaine. C’est lors d’une mission de près de 3 ans à Madagascar qu’elle découvre combien l’agriculture urbaine (intra et péri-urbaine) importe pour l’alimentation de ces villes du sud ainsi que pour d’autres services (lutte contre les inondations, valorisation des déchets organiques). A son retour en France, elle y consacrera un programme de recherche bilatéral et est à l’initiative en 2012, d’une équipe de recherche sur cette thématique à l’UMR SADAPT (AgroParisTech/INRAE), équipe qu’elle a animée jusqu’en 2020. Elle a également co-construit une formation d’ingénieur à AgroParistech sur la végétalisation et l’agriculture urbaine (IEVU), un bureau d’expertise et de recherches en 2015 (Exp’AU) et créée la Chaire partenariale de mécénat « Agricultures Urbaines Servives ecosystèmiques et Alimentation des Villes) qu’elle dirige depuis 2018.
Elle est l’auteur de nombreuses publications sur la thématique dont deux ouvrages récents : celui des Editions Quae sur « les agricultures urbaines en France » (2022) et celui chez PUM sur les agricultures urbaines en Afrique (2023).


photos AgroParisTech
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