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Analyse de l'ascension des fermes urbaines au Québec

Voici quelques semaines, l’entreprise Les Fermes Lufa annonçait l’ouverture, dès mars 2020, de la plus grande serre sur toit au monde à Montréal. Avec cette quatrième serre, installée dans l’arrondissement Saint-Laurent, l’entreprise, pionnière de l’agriculture hydroponique construite sur les toits de bâtiments industriels, vise à doubler sa production de fruits et de légumes.

Analyse de la situation par Eric Duchemin, professeur associé, directeur Scientifique AU/LAB et CRETAU, Université du Québec à Montréal (UQAM)

 

"Les Fermes Lufa font partie d’une industrie en croissance exponentielle : l’agriculture urbaine.

Elles transforment la ville, mais elles ont aussi un impact sur les systèmes alimentaires locaux. Montréal bien sûr, mais aussi Toronto, New York, Paris, Bruxelles ou Portland n’échappent pas au phénomène.

La culture de plantes comestibles, de végétaux horticoles ou l’élevage d’animaux en ville se distingue généralement de l’agriculture pratiquée en milieu rural par ses plus petites surfaces cultivées et surtout par ses modes de culture, souvent sur toit ou en intérieur.

 

Depuis quelques années, on voit apparaître une séparation entre une agriculture urbaine sociale (les jardins potagers) et une agriculture urbaine commerciale (des fermes ou projets à vocation économique qu’ils soient de nature privée ou sociale).

Dans les entreprises, la pratique de l’agriculture est un métier et une activité économique à part entière. Si elles prennent de plus en plus d’espace, les jardins potages restent plus présents. Ainsi, on recense plus de 10 hectares de potagers sur le territoire montréalais, tandis que l’agriculture urbaine commerciale couvre moins de cinq hectares.

Mais qu’elle soit sociale ou commerciale, l’agriculture urbaine est utilisée comme un outil pour répondre à de nombreux enjeux sociaux et environnementaux urbains du 21e siècle, dont l’insécurité alimentaire, la réappropriation de l’espace urbain par les citoyens, le verdissement, la santé mentale, l’autonomisation, la réinsertion économique, etc.

Elle est aussi perçue comme un vecteur potentiel de résilience urbaine individuelle et collective dans le cas de crise économique, environnementale ou encore lors de l’augmentation des prix des aliments frais, comme on l’observe actuellement dans de très nombreux pays, dont le Canada.

Dans le cadre de son mandat visant l’émergence de pratiques innovantes, avec l’équipe du Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine (CRETAU), notre équipe a réalisé le premier portrait de l’agriculture urbaine commerciale au Québec. Il s’agit d’une première étape pour mieux comprendre l’importance de cette forme d’agriculture sur la transition des villes. Malgré sa popularité grandissante, cette forme d’agriculture urbaine reste encore très peu étudiée.

 


L’agriculture urbaine commerciale au Québec


Le premier portrait du CRETAU, a permis d’identifier une cinquantaine d’entreprises d’agriculture commerciale (production ou élevage) urbaines au Québec. Trente-cinq d’entre elles sont situées dans la grande région de Montréal.

Les villes du Québec se comparent très avantageusement aux autres grandes villes nord-américaines et européennes. Montréal se démarque sur le plan international : avec ses 35 exploitations urbaines, la région dépasse largement Vancouver qui en compte 13 et la région bruxelloise qui en compte 29. Elles seraient une centaine sur l’ensemble de la France.

 


Si près de 60 pour cent des entreprises agricoles urbaines au Québec sont des productrices de légumes frais – 28 maraîchers sur 50 –, les entreprises de production de micropousses arrivent au deuxième rang en 2018 – huit sur les 50 identifiés. Des entreprises répertoriées, 40 pour cent font une production en intérieur, tandis que 28 pour cent utilisent des toits.

 

Une filière agricole en croissance

 


La ferme Pousse-menu, une des pionnières dans le domaine au Québec, a démarré ses activités en 1988. De leur côté, les Fermes Lufa ont érigé la première serre commerciale du monde sur le toit d’un immeuble en 2011. Montréal compte depuis 2017 la plus grande ferme urbaine bio sur toit au Canada. Plus d’une dizaine de nouvelles entreprises agricoles urbaines s’enregistrent chaque année.

Si le portrait du CRETAU est assez fidèle, il faut souligner qu’il ne concerne que les entreprises agricoles urbaines existantes. Les projets en gestation ou en idéation n’en font pas partie.

De multiples indicateurs suggèrent qu’il y a de nombreux projets en démarrage. De plus, le développement des producteurs urbains offre des opportunités aux entreprises de services d’aménagement paysager et de fournitures. Ainsi, à côté des 50 producteurs urbains on trouve une trentaine d’entreprises offrant des services divers, allant de l’accompagnement, de la construction de toits verts comestibles, de modules de production et de mise en marché. Sans compter que de nombreux producteurs urbains offrent aussi de tels services.

 

Une filière d’innovation technologique


Jusqu’à tout récemment pionnière en la matière, le Québec a désormais de la compétition : des investissements majeurs en soutien aux fermes urbaines innovantes se font aux États-Unis et en Europe. Des projets d’envergure s’y développent, particulièrement dans la R&D et le développement de technologies, de modules de production ou de nouvelles filières (insectes).

Au Québec, il existe quelques exemples de fermes en innovation, comme La boîte Maraichère, la ferme O’Plant, les Fermes In.Genius, Inno-3B ou TriCycle.

Mais elles restent encore loin des projets états-uniens ou européens en matière de financement, donc de capacité de développement.


Ce type d’investissements en projets innovants sert à la production alimentaire, mais également au développement de nouvelles technologies, au perfectionnement de ressources humaines compétentes en techniques de production alimentaire, en création de systèmes automatisés, ou en ingénierie.

Nicholas Clinton, du Arizona State University, et ses co-auteurs ont réalisé une première tentative de quantifier l’apport de l’agriculture urbaine en 2018. Sans faire une évaluation précise des services offerts par l’AU, ils ont tenté plutôt d’introduire un cadre (framework) afin d’estimer cet apport.

Il apparaît qu’il y a un manque de recherche structurée qui évalue l’impact des fermes urbaines sur l’empreinte écologique du système alimentaire et des villes. Cet impact est-il significatif ? À quel niveau de développement le serait-il ? (un pour cent de couvertures des toits par exemple) et comment peut-il être amélioré ? (insertion dans un système local de gestion des ressources).

 

Une filière de production agricole qui prend forme

 


Le premier portrait du CRETAU montre que la filière de production agricole naissante a besoin de soutien tant au niveau des modèles économiques, des besoins en service-conseil adapté et d’une meilleure adéquation entre les programmes/soutien gouvernementaux et leur activité.

Cette filière devra être accompagnée par de la recherche et de la formation. Mentionnons la mise sur pied d’un volet agriculture urbaine dans le cadre du programme de gestion et technologies d’entreprise agricole au cégep de Victoriaville, le développement d’un incubateur pour les entreprises agricoles urbaines en démarrage et l’existence d’une ferme expérimentale de recherche et d’innovation sur le toit du Palais des congrès de Montréal.

 

Il reste à se demander comment réussir à établir un système efficace d’identification et de suivi des entreprises agricoles urbaines. C’est entre autres pour répondre à ce défi que le CRETAU a lancé le premier bottin des producteurs urbains du Québec.

En mettant en ligne ce bottin et en le diffusant, l’idée est de rejoindre les entreprises qui n’auraient pas été répertoriées jusqu’ici."

Cet article est publié à partir de TheConversation sous licence Créatives Commons, article complet 

 

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