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De la saisonnalité ... Ou pourquoi se refuser de consommer des fraises en hiver ?

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Ludovic Guinard, Directeur général délégué Ctifl* et Directeur général adjoint Interfel*, signe une tribune pour montrer la façon dont la saisonnalité est appréhendée par les consommateurs, donner la bonne définition et expliciter les enjeux qui s'y rattachent.

Les arguments fusent et s’assènent avec rage pour s’accaparer le terme de saisonnalité et surtout lui associer une définition. Néanmoins comme toute dispute sémantique, les arguments ne sont généralement que partiellement vrai, et généralement faux en partie. Si la saisonnalité est vue comme une capacité de recréer une image d’Épinal, à savoir l’agriculture du siècle dernier voir celui d’avant, alors le danger est de voir tout le cortège des autres éléments, réels ou fantasmés, de ces situations passées être désiré. Le travail avec les animaux, l’intensité du travail humain, l’absence de produits phytosanitaires, etc...

Les zélateurs de cette définition fantasmée sont très majoritairement éloignés du monde paysan et probablement réfractaires eux-mêmes aux travaux des champs.

Si la saisonnalité est vue comme la capacité d’une préférence française, d’une part nos partenaires européens ne seront pas dupes et en refuseront l’application en respect de la sacro-sainte « non entrave aux échanges » ; et d’autre part si nous considérons que la loi européenne n’est pas bien faite alors plus que de créer une sur-transposition ou une loi supplémentaire ne faut-il pas travailler à modifier les lois européennes et en particulier celles permettant et exigeant l’harmonisation des pratiques et des moyens agricoles sur tout le territoire européen. Si la saisonnalité est vue comme le moyen de consommer des produits à moindre impacts environnementaux alors n’utilisons pas un terme inadapté mais directement les indicateurs opposables qui sont décrits dans les analyses de cycle de vie ou tout autre système d’évaluation à choisir. Dans cette perspective, il faudra accepter qu’un certain nombre de produits introduits/importés sont à moindres impacts que certains produits cultivés sur le sol national. En corollaire, le fait de choisir un meilleur profil environnemental des produits ne conduit pas systématiquement à justifier une consommation nationale voir même locale. Et c’est l’intérêt de ces indicateurs et ses évaluations qui permettent de bien déterminer la réalité des choses. Si la saisonnalité est vue comme un atout santé (si si !) arguant que notre chronobiologie s’est adaptée aux fruits et légumes produits sur le territoire, alors n’y a-t-il pas contradiction à mettre en avant les agrumes dont seules les clémentines corses peuvent à cette heure être produites sur le territoire métropolitain ? Et qu’en est il des démonstrations scientifiques ?

Il faut sortir de tout populisme autour de l’usage d’un terme et l’accaparement de la représentation psychologique qu’il véhicule.

La saisonnalité fait référence belle et bien exclusivement à la présence des produits sur les étals destinés aux consommateurs. Cette saisonnalité est donc la conséquence des calendriers de production liés au climat, aux pratiques culturelles, et au choix des agriculteurs ainsi que l’exercice du marché et donc de la concurrence entre les différents apporteurs de biens alimentaires auquel peut venir également s’ajouter des politiques commerciales des différents distributeurs, sans oublier la conséquence des choix passés des consommateurs.
Cette saisonnalité au sens « offres finales aux consommateurs », cohérente par ailleurs avec sa définition dans la littérature, est celle que le calendrier de l’Inter profession des fruits et légumes indique. Il s’agit des périodes où les différents produits sont sur les étals dans des conditions de marché les plus abordables et les plus satisfaisantes. C’est un calendrier basé sur des données publiques, des données observées annuellement, consistantes et rigoureuses.

Plus que l’accaparement d’un terme et de sa représentation sociale, qui ne résout rien, ne faut-il pas s’attacher aux enjeux ?

Ne faut-il pas accentuer la démonstration des impacts nutritionnels, environnementaux et sociaux ? Nous disposons aujourd’hui de tous les outils et méthodes nécessaires à attacher à chaque produit ses caractéristiques, depuis les éléments très imparfaits de Nutri score qui pourront être complétés et améliorés en passant par les politiques de responsabilité sociale et environnementale des entreprises, les analyses de cycle de vie, les bilans carbone. Convaincu et porteur de la révolution digitale, je ne peux qu’insister ici sur la mutation profonde que peut apporter la digitalisation dans la consommation alimentaire, en fournissant au consommateur le résultat attaché aux produits qu’il souhaite consommer quant à ses indicateurs nutritionnels, environnementaux et sociaux. Celui-là sera en mesure alors de choisir de manière éclairée et facilitée et d’arbitrer en fonction bien évidemment de ses objectifs et de ses moyens.

Pourquoi se refuser de consommer des fraises en hiver ?

Certains privilégieront l’achat plaisir et réduiront leurs impacts individuels dans d’autres domaines (transport, chauffage, NTIC,…). D’autres souhaiteront vivre une saisonnalité d’antan, ou bien choisir en regard des bilans GES des différents produits offerts à ce moment-là de l’année, ou bien encore préféreront faire travailler les agriculteurs et les acteurs de leur territoire. Peut être le profil environnemental d’une fraise d’hiver sera-t-il meilleur que d’autres produits issus du territoire. Le choix le meilleur reste le choix éclairé, selon une démarche facilitée, rigoureuse et transparente.
Il serait une erreur et un abus que de vouloir réduire les enjeux climats portés par la consommation des fruits et légumes à une définition orientée de la saisonnalité sans rattachement à des faits tangibles. Prenons l’exemple de l’enjeu climat : les indicateurs d’Impact de GES, d’impact sur la biodiversité et d’impact sur les cours d’eau existent ; utilisons les ! Il est possible de disposer pour tous les produits de leur profil et de leur impact. Il s’agira d’équiper tous les producteurs et tous les commerçants des outils permettant de collecter l’information, la standardiser, l’agréger et en permettre l’exploitation via des applications consommateurs.

L’enjeu majeur reste de minimiser l’impact de nos activités humaines.

Pour la filière fruits et légumes, les pertes alimentaires constituent le levier majeur et principal, et en particulier au domicile du consommateur. Ainsi le premier enjeu de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre dans le cadre d’une vraie politique climat est bien d’améliorer la capacité d’augmenter le nombre de fruits récolté qui sont consommés. C’est-à-dire l’acceptation plus large des fruits et légumes produits, les moyens de conservation en poste récolte pour laquelle la réduction d’un certain nombre de solutions ont accentuer les pertes, garantir la conservation la plus longue pour un certain nombre de produits frais hier directement permis par les emballages plastiques, et la liste serait encore longue. Il est donc urgent de revenir à la science, de revenir à la réflexion et de sortir du simplisme pour se fixer un seul objectif claire et de l’évaluer par rapport à des indicateurs qui le seraient tout autant. Là le changement climatique reste un enjeu global qui ne peut souffrir de visions parcellaire et partielle au péril d’accentuer le problème que l’on cherche à résoudre.

C’est d’éducation, plutôt que d’approches simplistes qui confinent à la manipulation, dont nous avons besoin.

Former notre population à comprendre très tôt le tenants et aboutissants, et leur fournir les informations et les outils qui leur permettent un choix éclairé. L’éducation dès les classes primaires dans le cadre d’un programme rigoureux et scientifiquement validé, par des acteurs formés, associée à des expériences vécues comme des cours de cuisines, des visites dans les exploitations, des stages de WE dans les vergers,… Faire le pari de l’intelligence est certes bien plus audacieux et se refuse de résultats rapides et faciles, mais seul moyen de garantir une avenir meilleur. Aussi se fixer un objectif d’impact en terme de consommation de fruits et légumes reste-t il pertinent et même essentiel ! Essentiel en terme de santé par l’apport de fibres et vitamines pour toutes et tous, responsable en terme de réduction d’impact sur l’environnement aux cotés et à proportion de toutes les autres filières alimentaires et autres activités humaines.
Troquons donc un décret saisonnalité vers un plan national « fibres et vitamines » adossé à un programme d’éducation.

Ludovic Guinard

*CTIFL : Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes
*INTERFEL : Interprofession de la filière des fruits et légumes frais

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