Agri-city.info entame, avec la Fédération Française Jardins, Nature et Santé* une collaboration. Nous partageons quelques-unes de leurs découvertes et rencontres. Celle-ci avec Mélodie Branet, membre de la Fédération nous a particulièrement touchés. Mélonie s'est imprégnée de ces jardins écossais et nous fait ressentir son émotion sous la plume de Jérôme Rousselle lui-même membre de la Fédération et expert en jardins de soins. Découverte inspirante, récemment partagée dans la dernnière Infolettre.
Beaucoup d’entre nous avons pu en faire l’expérience, visiter un jardin thérapeutique est toujours source d’inspiration, de questionnement ou de motivation. Cette considération a conduit Mélodie Branet à profiter d’un voyage personnel en Écosse pour se rapprocher de Trellis Scotland et découvrir les jardins de soins du Pays du Chardon.
Jérôme Rousselle : Mélodie, quel est ton parcours ?
Mélodie BranetM : J’exerce en tant que travailleuse sociale depuis une douzaine d’années, auprès d'adultes et de jeunes en situation de handicap. J’ai découvert l’hortithérapie il y a quatre, cinq ans alors que j’étais en transition professionnelle. Cela liait bien le travail social et mon amour pour la nature. J’ai effectué des stages, notamment en milieu hospitalier à Paris et six mois dans un jardin écologique à Berlin, été bénévole dans des jardins communautaires et pour finir, en 2024, j’ai suivi la formation du CFPPA1 de Romans-sur-Isère. Aujourd’hui, mon objectif est d’intégrer l’hortithérapie dans mon métier, potentiellement dans l’ESAT2 où je travaille, en région parisienne.
J.R. : Quelles raisons t’ont conduit à te rendre en Écosse cet été ?
M.B. : Les vacances, bien sûr ! Je connaissais déjà un peu l’Écosse et avais très envie d’y retourner. Du fait de mes affinités avec ce pays, j’avais repéré Trellis Scotland quand j’avais commencé à m’intéresser à l’hortithérapie. Donc, cette année, un peu frustrée de ne pas avancer comme je le souhaitais dans le développement de l’hortithérapie dans mon activité professionnelle, j’ai décidé de profiter de mes vacances en Écosse pour trouver de l’inspiration, de la force et nourrir ma motivation en y rencontrant des professionnels de l’hortithérapie. J’ai donc contacté Fiona Thackeray, la présidente de Trellis Scotland, qui m’a suggéré plein de projets à visiter. Cette association en rassemble quand même plus de 300 !
J.R. : Comment cela s’est-il passé ?
M.B. : J’ai pu visiter trois jardins, à Édimbourg, Perth et Dundee. A Édimbourg, j’ai rencontré Elinor, jardinière en charge des projets communautaires au sein du Jardin botanique royal. Sur 28 ha, cette institution prestigieuse offre de nombreuses propositions, dont un programme d’engagement solidaire et communautaire, dans le but notamment de favoriser la connexion à la nature pour tous. Ainsi au sein du jardin botanique se trouve un jardin pédagogique avec des parcelles à visée plus spécifiquement thérapeutique. Des partenariats avec des associations locales permettent à différents publics de venir dans ce jardin, enfants, personnes atteintes de cancer ou de troubles neurodégénératifs, adolescents éco-anxieux, étudiants en herboristerie, migrants, etc. Chaque association, chaque structure, chaque public vient avec ses besoins et ses attentes propres. L’animation est effectuée en collaboration entre l’équipe du jardin et les membres de chaque association. Il s’y passe beaucoup de choses, du maraîchage aux ateliers de cuisine, en passant par le jardinage ou le compostage. L’ensemble mêle le pédagogique et le thérapeutique, même si ce dernier aspect semble plus perçu comme un effet secondaire du premier.
À Perth, le Walled Garden est un jardin à visée thérapeutique situé dans l’enceinte d’un hôpital. Depuis une trentaine d’années, l’institution met une parcelle de 8 000 m2 à disposition d’une association à laquelle elle délègue complètement la proposition, la gestion et l’animation d’activités thérapeutiques pour des personnes fragiles sur le plan psychologique. Chaque jour, les salariés de l’association et des bénévoles entretiennent le jardin et animent des ateliers pour différents groupes. Cela nécessite de leur part un très fort engagement.
À Dundee, le Ninewells Community Garden se trouve également dans l’enceinte d’un hôpital. La gestion de ce jardin communautaire d’un hectare est là aussi déléguée à une association mais l’institution est un peu plus investie : par exemple, des affiches mentionnant « un jardin thérapeutique pour toute la communauté » invitent patients, visiteurs et soignants à s’y rendre. Lors de la création de ce jardin en 2012, il y avait même des prescriptions de nature par les médecins. Depuis, cela s’est perdu. Désormais les activités sont laissées à l’initiative des patients qui viennent se ressourcer dans ce jardin. À côté des deux salariées de l’association, l’animation et l’entretien sont assurés par des bénévoles dont certains peuvent être des pair-aidants anciens bénéficiaires des activités proposées. Des personnes du quartier peuvent ponctuellement être accueillies et bénéficier d’activités. Dernier point, ce jardin est ouvert 24h/24. Le risque de vandalisme est présent, accepté et, en définitive, il n’y a pas souvent de détériorations.
J.R. : Qu’est-ce qui t’a le plus frappée lors de ces visites ?
M.B. : En premier lieu, j’ai été très intéressée par le statut de ces jardins : alors qu’ils se trouvent au sein d’une institution, leur gestion est souvent déléguée à des associations caritatives, les charities. Ce modèle économique mêlant quelques professionnels salariés et de nombreux bénévoles semble plutôt bien fonctionner. Les professionnels se concentrent sur la coordination, la gestion de l’ensemble, tandis que les bénévoles sont plus sur l’activité d’entretien, de jardinage, etc. Parfois des bénéficiaires deviennent eux-mêmes bénévoles. Il y a aussi une forme de mentorat entre volontaires et bénéficiaires directs.
En termes d’aménagements, ce que j’ai observé faisait vraiment écho à ce qui m’avait été présenté lors de ma formation à Romans-sur-Isère : tous les différents aspects du jardin, espaces intimistes ou de rencontres, de cultures de fruits ou de légumes, d’observation de la biodiversité, d’animations, à l’abri ou en extérieur…
J’ai été très sensible également à la posture des animateurs, disponibilité, patience, pédagogie, adaptabilité face à des publics fragiles et changeants, une gentillesse et une ouverture d’esprit constantes pour que les personnes puissent se sentir à l’aise. Ces personnes, généralement salariées à plein temps, effectuent un travail d’accompagnement très important et parviennent à créer des dynamiques de groupes, de belles synergies entre des personnes avec des niveaux d’investissement variables.
En ce qui concerne les deux jardins situés sur des sites d’hôpitaux, à Perth et à Dundee, j’ai été frappée par deux mouvements contradictoires. D’une part, il y a une vraie proximité du soin et une présence du jardin thérapeutique dans l’imaginaire de l’institution. Mais en même temps, malgré le partenariat, la proximité et l’envie, j’ai l’impression que ça reste dur de créer du lien avec le personnel. Je ressens un peu comme un rendez-vous manqué avec certains des publics qui pourraient en bénéficier. Et cela alors qu’on est dans une culture avec un rapport très fort au végétal, beaucoup plus qu’en France.
J.R. : En quoi cette expérience t’inspire-t-elle pour ta propre pratique de l’hortithérapie ?
M.B. : Plus que d’inspiration, je parlerais de motivation. Les lieux visités, les personnes rencontrées, les situations de travail… tout cela a participé à me redonner une énergie, une envie desquelles mon quotidien au sein de l’Esat peut m'éloigner. Avec des emplois du temps chargés, des priorités d'établissement, je sens parfois compliqué d’y penser un projet de jardin de soins. Et les échanges que j’ai pu avoir en Écosse avec les usagers, mettant en avant les côtés apaisant et socialisant de ces jardins, n’ont fait que me renforcer dans mes convictions.