By Agri-City on lundi 12 octobre 2020
Category: Alimentation & circuits courts

Appel international pour transformer les systèmes agro-alimentaires

A la veille de l’évènement spécial sur la gouvernance globale de la sécurité alimentaire et de la nutrition, organisé par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale du 13 au 15 octobre, quarante experts internationaux, dont trois économistes du CIRAD*, appellent, dans un nouveau livre, à une transformation accélérée de nos systèmes alimentaires.

Dans leur nouveau livre Transformation de nos systèmes alimentaires - un changement de paradigme , 40 experts internationaux décrivent les points forts et les tendances de la production alimentaire depuis 2009, date d’un rapport novateur sur l'agriculture mondiale (IAASTD**).

Ce rapport, paru sous l’égide des Nations Unies et de la Banque Mondiale, avait alors amorcé un changement de paradigme dans la perception du système alimentaire mondial. A l’époque, les 400 auteurs de l’IAASTD sonnaient déjà l’alarme avec un message fort : « le statu quo n'est pas une option ».

Une décennie plus tard, la plupart des scientifiques, et un nombre croissant de politiques, d’entreprises et d’acteurs de la société civile s'accordent à dire que nos systèmes alimentaires ont besoin d'une transformation radicale.

Entièrement disponible en ligne, ce nouvel ouvrage reprend les résultats de 13 rapports scientifiques d’envergure publiés durant la dernière décennie et 15 articles de mise à jour de thèmes insuffisamment pris en compte dans le rapport initial de l’IAASTD.

Trois économistes du CIRAD y abordent des questions clés pour l’agriculture mondiale : l’accès aux terres agricoles, les scénarios de l’utilisation des terres pour la sécurité alimentaire, et l’impact de l’urbanisation sur l’agriculture.

L’accès à la terre, un droit fondamental souvent bafoué

Alors qu’en 2009, le rapport de l’IAASTD assurait que les fermes familiales de petite et moyenne taille devaient devenir les principales cibles des politiques d’aide et de développement agricole, de nombreux pays ont choisi une autre voie : celle des investissements étrangers sur des larges parcelles de terres. Ward Anseeuw, économiste au CIRAD, revient sur le bilan de ces politiques, qu’il juge « faciles » mais souvent néfastes pour les populations locales.

 « L’acquisition de terres étrangères accroît la pression commerciale sur les territoires
et affaiblit les droits à la terre des populations locales ».

Entre 2000 et 2016, les acquisitions de terres étrangères autour du globe ont atteint 42,2 millions d’hectares, dont 26,7 étaient destinés à des activités agricoles. 10 millions d’hectares de ces terres se situent en Afrique.

L’objectif de ces ventes était de dynamiser le développement des exploitations à grande échelle, en assurant la sécurité alimentaire dans les pays et en améliorant les infrastructures rurales. Aujourd’hui, nombre de ces projets ont été abandonnés.

A Madagascar, par exemple, seules 4 des 53 transactions identifiées depuis 2000 sont toujours en activité. Mais, sur les 49 transactions qui ont échoué, très peu ont conduit à des réallocations de terres aux populations locales.

Le mythe de l’opposition entre territoires urbains et territoires ruraux

« Les chaînes alimentaires locales jouent un rôle stratégique en reliant les zones rurales aux consommateurs urbains, garantissant des possibilités d'emploi tout au long de la chaîne » , explique le Frédéric Lançon du CIRAD.

Le chercheur revient sur la division traditionnelle entre « territoires urbains consommateurs » et « territoires ruraux producteurs ». L’auteur rappelle, d’une part, que dans la majorité des pays à faible revenu et en déficit alimentaire, environ 33 % de la population est urbaine.

D’autre part, et alors que les villes et les campagnes semblent souvent lutter pour l’allocation des ressources humaines (travail) ou naturelles (terres, eau), il apparaît au contraire que les processus d’urbanisation soient plutôt des sources de dynamisme et transformation agricole.

Un scénario « Healthy » pour assurer une sécurité alimentaire mondiale d’ici 2050

En 2018, le CIRAD et INRAE ont publié les résultats d’une réflexion prospective relative aux usages des terres et à la sécurité alimentaire en 2050. Appelé Agrimonde-Terra, cet outil a permis d’élaborer cinq scénarios en combinant diverses hypothèses.

L’un des scénarios « Healthy » propose une refonte complète du système de production et d’exploitation et une recherche d’autonomie du système en se basant sur l’agroécologie.

Plutôt basés sur la diversification des cultures, les associations cultures-élevage et l’agroforesterie, les systèmes de production agro-écologiques sont caractérisés par l’utilisation d’intrants locaux et issus du recyclage ainsi que celle des régulations biologiques autonomes.

« Afin d’atteindre des régimes alimentaires plus sains d’ici 2050, il est impératif
de diversifier nos systèmes de cultures et d’élevages »

L’agroécologie au cœur des débats internationaux

Pour réaliser l’ouvrage, un groupe consultatif de 16 personnes issues de l’IAASTD, dont faisait partie Marie de Lattre-Gasquet, a été constitué. « Cette combinaison de points de vue et de perspectives internationales a été une véritable mine d'or », indique Hans Herren, lauréat du Prix mondial de l'alimentation et ancien coprésident de l'IAASTD, qui les a réunis.

Le livre est publié à l'approche de l’événement spécial sur la gouvernance globale de la sécurité alimentaire et de la nutrition, organisé par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale des Nations Unies.

Entièrement virtuelle, cette rencontre de haut niveau mettra, pour la première fois, l'agroécologie au centre des discussions. Les décideurs réfléchiront également aux efforts internationaux nécessaires pour « reconstruire en mieux » après la Covid-19.

« Ce livre prouve, sous divers angles, que l’agroécologie est de loin l’approche la plus fondamentale pour « reconstruire en mieux » et passer à des systèmes alimentaires durables », déclarent l’ensemble des auteurs.

Le livre ainsi que les messages clés et les informations supplémentaires peuvent être téléchargés gratuitement  

Les huit messages clés de l’ouvrage

1. Le scenario “Business as usual” n’est (toujours) pas une option. Un changement radical de nos systèmes agro-alimentaire est nécessaire.

2. L'absence de progrès aux niveaux national et mondial est principalement due à un manque de volonté politique , aux déséquilibres de pouvoir et au blocage des systèmes (schémas de dépendance, orientation des exportations, demandes pour une alimentation bon marché, etc.).

3. Nous ne pouvons pas résoudre les multiples crises actuelles, qui convergent et s'accélèrent, par des réponses unidimensionnelles, linéaires, réductionnistes ou mécanistes. Nous devons plutôt adopter une approche des systèmes alimentaires avec des solutions qui auront des résultats multiples, convergents et se renforçant positivement, qui apportent des effets synergiques bénéfiques dans plusieurs domaines.

4. Le progrès vers un avenir viable et vivable nécessite des processus démocratiques profondément participatifs . Cet avenir ne peut être atteint sans tenir compte des droits fondamentaux - en particulier les droits des agriculteurs, des femmes, des autochtones et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

5. Pour stabiliser le climat et inverser les tendances à la perte de biodiversité, il faut transformer les systèmes agroalimentaires vers des systèmes agroécologiques, en réduisant le gaspillage et la perte de nourriture ainsi que la consommation de viande dans la plupart des régions, et en donnant la priorité et la valeur au capital naturel, social et humain.

6. La promotion d'une alimentation saine, diversifiée et durable permet de réduire les principales formes de malnutrition et offre de multiples avantages complémentaires à la santé humaine et écologique.

7. Pour rééquilibrer le pouvoir dans le système agroalimentaire, il faut agir, d’une part, réduire le pouvoir des grandes entreprises qui sont à la base du système alimentaire industriel. D’autre part, il faut pouvoir offrir un espace à des systèmes différents de commerce et de commercialisation, donnant aux petits producteurs, aux autochtones, aux femmes et aux communautés rurales et urbaines la possibilité de s'épanouir.

8. La transformation des systèmes agro-alimentaire exige une révision et un recentrage des valeurs d'équité, de réciprocité et de solidarité, des principes de démocratie, de justice et de collectivité, et la reconnaissance du fait que les êtres humains existent avec la nature, et non en dehors.

 
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