Dans les dix prochaines années, près de la moitié des agriculteurs partira à la retraite, impliquant la libération de plusieurs millions d’hectares de terres agricoles. Aujourd’hui, un tiers d’entre eux seulement déclare avoir une visibilité sur la transmission de leur ferme. Que deviendront ces terres ? Quels sont les freins à la transmission ? Avec Les Chemins de Terre.

Le constat est aussi clair qu’inquiétant : la profession vieillit et ne se renouvelle pas. En 2016, l’âge moyen des chefs d’exploitations agricoles est de 52 ans. Parallèlement, la part des agriculteurs de moins de 40 ans diminue tandis que le nombre annuel de nouveaux installés chute drastiquement, passant de 21 000 à 13 000 entre 1997 et 2010. Pourtant, dans dix ans, près de 300 000 personnes seront susceptibles de transmettre leur ferme : l’équivalent de sept millions d’hectares de terres agricoles.

 

4 fermes sur 10 non transmises

 

Aujourd’hui, dans 10 % des cas lors de la transmission, l’exploitation cesse son activité voire disparaît selon le dernier rapport d’Agreste. Dans 30 % des cas environ, l’exploitation est démantelée et concourt à l’agrandissement d’une ou de plusieurs autres exploitations préexistantes. Cela représente environ quatre fermes sur 10 qui ne sont pas transmises et autant d’opportunités qui ne sont pas saisies pour installer de nouveaux agriculteurs !

 A l’échelle d’un territoire, ces mutations font changer la physionomie des fermes et de l’agriculture. Depuis 40 ans, la tendance est donc à la concentration des terres et de l’activité agricole, où la taille moyenne d’une ferme atteint 63 hectares en 2016, contre 55 hectares seulement six années plus tôt. Par exemple, en 2016, la catégorie des plus grandes exploitations, de 112 hectares en moyenne, couvrait 73 % du territoire agricole français ! Les petites exploitations, quant à elles, n’exploitent que 7 % de la surface agricole utile.

 

Difficultés liées à l'accès au foncier

 

De fait, les difficultés liées au foncier agricole sont des freins à la transmission. Le prix des terres et la spéculation générée par l’urbanisation galopante et par un système d’aides qui pousse les agriculteurs à s’agrandir rend l’investissement foncier hors de portée du plus grand nombre.

Cela est d’autant plus vrai pour les jeunes et pour les personnes qui ne sont pas issues du milieu agricole. A l’inverse, les grandes fermes tendent à s’agrandir de plus en plus, étant dans des logiques d’investissement et/ou de rente foncière liées aux aides à l’hectare. Pourtant, à moyen ou long terme, cette recherche d’économie d’échelle ou d’agrandissement ne paraît pas toujours justifiée, d’un point de vue économique ou agronomique.

 

Enfin, la faiblesse des retraites agricoles et la potentielle pression des proches et des héritiers mènent les paysans propriétaires, lors qu’ils cessent leur activité, à tirer le meilleur parti économique immédiat, par la vente au plus offrant de leur patrimoine foncier afin de compléter leurs revenus ou valoriser le capital laissé à leurs enfants, en pensant que c’est la seule solution possible.

Paradoxalement, cela touche autant des fermes trop petites pour assurer un revenu suffisant à celui qui la reprendrait que d’autres trop grandes et trop capitalisées pour inciter les descendants à s’engager dans un parcours professionnel où il faudra à la fois assurer des compléments de revenus aux parents et dédommager leurs frères et sœurs co-héritiers avant de pouvoir obtenir un revenu décent.

 

Des solutions existent pour les plus petites fermes
comme les plus grandes

 

Terre de Liens montre que des solutions existent pour ces deux cas de figure de successions problématiques : pour les petites fermes, installer des agriculteurs qui vont innover sur l’économie agricole en lui adjoignant des activités annexes, de la vente directe, des activités d’accueil, etc. ; pour les plus grandes fermes, installer des collectifs d’agriculteurs avec des relations de coopération plus ou moins intenses selon les affinités et les circonstances.

Outre les différents obstacles liés aux questions patrimoniales ou économiques, il faut ajouter les difficultés psychosociologiques à transmettre un outil de travail, un lieu de vie, un habitus constitué tout au long d’une vie à d’autres personnes qui n’auront pas le même regard sur ce patrimoine et les pratiques qui l’ont constitué, avec une certaine conception du métier et de ses contraintes, variant notamment selon l’âge et l’époque. Tout ceci n’est pas facile à concevoir pour un agriculteur qui veut arrêter son activité, et l’agrandissement par vente à des voisins qui, identifiés, ont su progressivement s’imposer, peut présenter une certaine facilité par rapport à un repreneur qui pourrait reconfigurer la ferme autrement -avec d’autres ateliers de productions ou avec un autre système de production.

 

Au-delà des questions de financement du foncier, le travail d’accompagnement réalisé par des structures d’accompagnement (comme les ADEAR et parfois par des bénévoles et salariés de Terre de Liens) dans la préparation d’une transmission d’exploitation, parfois sur plusieurs années, constitue une stratégie importante pour lutter contre le démembrement et la disparition de trop nombreuses fermes.

 

Article paru dans les Chemins de terre N°11 et co-écrit par
Sophie Baltus, Thierry Bayoud, Maxime Jacob,
Christian Gaudaré, Thibaud Rochette et Valérie