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Grégoire Bleu, président de l'Afaup et co-fondateur d'UpCycle, fait le compte-rendu d'une après midi avec les prospectivistes de l’Union Européenne. Quel visage de l'agriculture urbaine dans 20 ans?

"Nous étions une quinzaine de belges, allemands, hollandais, anglais réunis pour réfléchir au rôle que pourrait jouer l’agriculture urbaine en 2040. Les résultats m’ont semblé étonnants et intéressants, je me permets de vous les partager à travers une série de thèmes, sans prétendre être exhaustif, et sans représenter d’autre avis que le mien.

Voici six formes

 Pour les cultures sur les grands espaces, ils imaginent une forme de compétition entre les grands propriétaires terriens agriculteurs et des structures agricoles détenues par des fonds de pensions. Ainsi on verrait en France de grandes étendues cultivées uniquement dans un objectif de maximiser le revenu des actionnaires de ces fonds, avec uniquement des salariés et un gestionnaire qui ne seraient pas nécessairement inscrits dans la durée. Le renouvellement de plus de 50% des exploitations agricoles en France offre un potentiel d’acquisition foncière pour ces fonds de pensions aux moyens colossaux. On sait ces mécanismes déjà puissamment à l’œuvre dans des pays moins riches, cela pourrait devrait se développer en Europe, et je ne crois pas que cela se fasse au bénéfice des campagnes ou des consommateurs, car ces fonds risquent fort de vouloir réduire le plus possible la main d’œuvre et le risque de production, donc miser sur de la grosse mécanique et des cultures très artificialisées. C’est sans doute un axe de mobilisation moins efficace que la réduction des pesticides, mais l’impact peut être sans doute encore supérieur. Encore un défi énorme pour le monde agricole.
Sur les petites formes d’agricultures, c.a.d les formes avec des petites emprises agricoles (quelques hectares), qui sont incluses dans les formes émergentes, six modèles, j’en évoquerais quatre 
Des fermes indoor, qui n’ont pour l’Europe rien de spécifiquement urbain, c’est vrai qu’au Japon les boites à salade de 20 000 m2 sont plutôt en campagne, comme les entrepôts logistiques.

De l’agriculture de survivance, avec 2 axes

Le premier est plutôt subi, avec des personnes aux revenus très modestes, qui retournent à la campagne pour se nourrir plus facilement, en sortant de la société de consommation. On voit effectivement une explosion de demandes pour obtenir des parcelles dans les jardins collectif. Aussi, des structures d’insertion par le maraichage sont en train de monter des incubateurs de maraichage pour leurs employés en fin de droit, afin qu’ils s’installent à proximité et soient accompagnés dans leur installation (et qu’ils conservent un réseau social local). Cette forme pourrait exploser si un revenu universel venait à être instauré en Europe.
Le second axe est  choisi, composé de personnes éduquées, nourries des principes de la frugalité heureuse, du « early retirement », du désir de médiation, de familles capables de travailler de chez elles et de rebondir si le projet agricole ne tient pas ses promesses.
Une agriculture familiale « traditionnelle », qui verrait son déclin ralentir par la montée en puissance des circuits courts.

Cette agriculture a pour principal objectif de s’inscrire dans le temps long : faire vivre sa famille de son métier d’agriculteur, sans nécessairement de désir de croissance de l’exploitation, mais plutôt en se tournant vers une complémentarité des revenus et une transmission de la terre.
Une micro agriculture, urbaine ou pas, directement inspirée de la permaculture, souvent connectée à une « communauté » (un quartier, une école, une ceinture verte, une association, une entreprise …). Cette forme regroupe une multitude d’initiatives qui ont en commun l’usage de terrain de moins de 2 ha. Elle est très ancrée dans des valeurs qui cimentent la communauté. Elle ne dégage que des petits revenus qui peuvent être compensés par des formes d’abonnements, de la solidarité.

  analyse par Mégatrend

Pour nourrir nos réflexions, nous étions amenés à réagir sur l’influence de « mégatrends » : raréfaction des ressources, domination de la Chine, montée en puissance du digital, des problèmes de sécurité, aggravation des inégalités, des migrants, des problèmes de santé, et bien entendu réchauffement climatique…
Pousser la réflexion avec de telles bases amène vite à accréditer la thèse d’une forme d’effondrement, en tous cas d’une série de crises dont aucune ne sera simple à surmonter. J’ai été rassuré de savoir qu’apparemment certains, à la tête de l’Europe, consacrent leur temps à travailler sur ces scénarios pour voir en quoi il faudrait faire évoluer les politiques publiques.
L’exercice consistait à choisir les trends les plus influentes, les problématiser et expliquer ce qu’elles vont provoquer pour l’agriculture urbaine. Tous les scénarios conduisent à un renforcement très fort de l’agriculture urbaine. Sauf que les deux principales raisons d’être de l’agriculture urbaine, à savoir de renforcer le lien social local et de former les habitants au mieux vivre en ville (en cultivant, en cuisinant, en s’inscrivant dans les rythmes naturels) ne risquent pas de passer de mode.

Construire un récit positif du vivre ensemble

L’agriculture urbaine est sans doute, pour reprendre la théorie de Cyril Dion, une des méthodes les plus efficaces, les moins chères et les plus rapides pour construire un récit positif de vivre ensemble… pour peu bien entendu qu’elle délivre ses promesses. Amis agriculteurs urbains, soyez bons, l’Europe a besoin de vous !
Le mégatrends qui devrait avoir le plus d’influence sur l’agriculture urbaine, tout compte fait, sera l’évolution des formes d’agricultures « rurales ». En effet plus l’agriculture conventionnelle va se convertir à la résilience, au long terme, moins les villes et leurs périphéries auront besoin de développer de filet de sécurité alimentaire. Plus au contraire l’agriculture conventionnelle va pousser la logique de maximisation du profit et donc prendre des risques sur le court terme, moins on pourra compter sur elle pour nous nourrir.

En 2040, quatre formes d’agriculture urbaine

L’autoproduction, souvent high tech, pour les personnes ou les entreprises qui pourront se le permettre.
Devant le risque de pénurie d’approvisionnement en légumes de qualité, le plus simple est encore de revenir aux méthodes de nos grands-parents : cultiver son propre potager. Sauf que pour atteindre une forme d’autosuffisance en légumes il faut 500 à 1 000 m² à une famille en low tech, là ou 100 m2 peuvent suffirent en high tech.
Si on voit qu’il est déjà trendy de sortir une salade du jardin dans les diners en ville, demain nous aurons peut-être des motivations supérieures aux enjeux pédagogiques de jardinage ou de frime. Autoproduire apporte un vrai gain en qualité produit et en sécurité d’approvisionnement. Ça vous parait loin ? Cette situation est en réalité déjà à l’œuvre dans le nord des Etat Unis (Chicago). La salade fraîche du petit producteur du coin est déjà un luxe (4 $ !), les végétaux étant massivement sourcés en Californie, qui connait des rendements décroissants. Il y a dans ces villes des déserts alimentaires, ou l’on ne trouve que des chips et des snacks, la seule solution d’approvisionnement en frais est un grand coup de voiture ou l’autoproduction.

Les projets sociaux, communautaires, inspirés de la permaculture

Pas besoin d’attendre 2040 pour constater que ces micro fermes sont en plein boom, du jardin partagé à l’AMAP périurbaine, en passant par des associations de maraichage social, la palette est large. Et pourtant ces formes vont devoir résoudre leur problème de contraintes économiques, en France comme ailleurs. Le témoignage des Hollandais était à ce titre éloquent, proche des milieux très militants français. On peut distinguer 2 modèles :

Soit elles s’orientent vers un modèle AMAP, mais les surfaces cultivées sont petites, donc le nombre d’abonnés restreint. Le paysan doit aller choisir entre vendre cher et renoncer à une certaine diversité de client, soit vendre à ceux qui ont le plus les moyens. Beaucoup choisissent la première option qui correspond plus à leurs valeurs, et vivent de presque rien.
Soit les associations s’orientent vers des modèles pédagogiques/accueil de groupes/restauration, le chiffre d’affaires issu de la production est très mineur. Chemin faisant, elles sont confrontées à la professionnalisation de leur métier. Ce qui est possible de faire de manière « artisanale » sur 2 ou 3 petit sites, devient très complexe à gérer sur 5 sites et plus  sur de grandes superficies. Il manque souvent d’encadrement stable et bien formé aux postes de gestion pour gérer la croissance.
L’utilité de ces fermes ne fait aucun doute, pour le lien social, pour réduire la fracture alimentaire, comme centres de ressources techniques en cas de besoin, elles participent énormément à la résilience des villes, qui pourrait être mise à rude épreuve dans les années à venir. Ces fermes rendent des services écosystémiques évidents, une voie pour soutenir leur développement serait de les rémunérer pour les services rendus, ce qui impose avant tout de savoir les mesurer simplement. On peut penser que c’est facile pour la gestion des déchets ou des eaux de pluie, possible pour le stockage de carbone dans le sol, mais sans doute très complexe, et pas toujours si valorisant au vu des petites surfaces cultivées, sur la biodiversité. 

Des cultures de produits de niches, valorisés

Leur proximité leur permet d’être extra frais, (micro pousses, champignons, légumes feuilles, algues, aromates) ; et/ou ils bénéficient en ville de coûts d’installation réduits, car ils peuvent recycler des objets urbains délaissés (parking, usines, chambres froides, …).
Le mouvement est lancé, il ne devrait pas tarir. Ces produits, qui sont parfois à la limite entre l’alimentation et le complément alimentaire, sont vendus aux restaurants, aux passionnés de bonne bouffe, et sans doute demain aux sportifs.
Reste à prendre un peu patience sur les modèles économiques. Alors que ces fermes ont souvent moins de 3 ans d’existence, ont leur demande d’être rentables, discrètes, duplicables, sociales, visitables… ce qui est bien impossible. Soyons patients et indulgents pour laisser ces modèles se développer, afin qu’ils puissent ramener de l’activité économique là où les villes en ont le plus besoin.
Ce domaine devrait exploser en cas de dépénalisation du cannabis, même si je crois qu’ailleurs dans le monde ce sont plutôt des très grosses fermes qui se montent pour ce type de production.
En attendant ces fermes font face à une incroyable complexité administrative pour s’installer, leur faciliter la vie et continuer à les accompagner dans leur recherche et développement me parait la meilleure manière de les encourager.

De l’agriculture de survivance, non contrôlée

Associer dérèglement climatique, augmentation des inégalités, dévitalisation de la démocratie et pression migratoire peut vite rendre les villes impossibles à vivre pour certaines parties de la population. Il parait donc plausible que se développe en périphérie des villes ou dans les espacesurbains  délaissés, une agriculture non encadrée, de survivance. Phénomène extrême mais observé à chaque crise (récemment encore en Grèce), la différence avec le modèle 1 est que les cultures se font sur le domaine public et en mode "squat" de domaines privés, sans l’accord de personne et sans aucun encadrement. La grosse limite à cette réappropriation des lieux public est le risque de pollution des sols, omniprésentes dans les sols intra urbains.
J’ignore si nous étions ce jour-là dépressifs mais plusieurs groupes ont mis en avant la probabilité importante que l’agriculture urbaine doive plus se protéger. Se protéger des vols de légumes, qui ne sont déjà une réalité chez certains maraîchers ; se protéger aussi de l’appétit des promoteurs immobiliers, qui sont ravis, une fois que le terrain vague a été aménagé en jolie ferme urbaine, de proposer un programme immobilier pour valoriser le foncier. Apparemment en Belgique plusieurs structures associatives sont confrontées au problème et risquent de perdre leur sol.

Un réseau maraîcher solide

Imaginer une ville plus résiliente ne peut se faire sans un réseau maraîcher solide. Dès lors, on peut penser que, sous réserve que les structures porteuses de ces projets puissent être suffisamment bien structurées, elles opèrent, animent et coordonnent la transition des villes, ni plus, ni moins ! Les premières structures qui me viennent en tête pour cela sont les associations d’insertion par le travail. Elles ont un réseau de financement, la main d’œuvre, l’habitude de co-gérer des projets les organismes publics et le sens du bien commun.
Ces associations gagneraient à être coachées par des spécialistes techniques afin de mutualiser la recherche et le développement sur les modèles agricoles, la valorisation des services écosystémiques et les modèles économiques. C’est, à petite échelle, ce que UpCycle est en train de faire sur la gestion des déchets et la reconfiguration de parking en ferme urbaine pour les bailleurs sociaux du 20ème arrondissement, en partenariat avec les régies de quartier et AgroParisTech.
Après une étude technico économique approuvée par le bailleur, nous formons la régie locale pour qu’elle opère sur la ferme, et nous l’accompagnons afin qu’elle trouve un modèle économique cohérent avec les attentes du quartier, dans les 2 ans".

N’attendons pas 2040 pour saisir la multiplicité des opportunités offertes par l’agriculture urbaine
 Blog de l'Union européenne