Les cultures en pleine ville sont en vogue. Ainsi, les 7000 m2 de la plus vaste ferme urbaine de France se sont installés sur le toit terrasse d'une halle à Paris, pour alimenter les supérettes du quartier et promouvoir l'agriculture urbaine. Article de Science & Vie du 23 juin par Hugo Leroux avec Christine Aubry.

 

Ces fermes urbaines poussent comme des champignons dans les tissus urbains et périurbains des métropoles occidentales. Mais présentent-elles un réel intérêt ?


Pour le savoir, Christine Aubry, chercheuse à l'Inra, étudie depuis six ans la récolte des 600 m2 de cultures posés sur le toit de l'école AgroParisTech, à Paris. Dans cette version de première génération de l'agriculture urbaine, les cultures se font dans des bacs exposés à ciel ouvert sur les toits, sans produits phytosanitaires, sur du terreau industriel ou issu de biodéchets locaux (déchets verts, bois broyé...), avec ou sans vers de terre.

Résultats : toutes les récoltes ont donné en moyenne de 5 à 8 kg par m2 et par an, soit 50 à 80 t/ha. Un bon rendement, comparable à celui d'une production maraîchère bio dans la campagne en Île-de-France.

 

De là à rendre la ville auto suffisante ?

 

Loin de là ! Même en extrapolant ce rendement aux 80 ha de toitures parisiennes que l'on pourrait utiliser, on ne couvrirait que 6 % de la consommation parisienne de fruits et légumes, a calculé la chercheuse. Sans compter que les céréales ou le bétail sont inenvisageables, car bien trop exigeants en termes d'espace.

Même si on l'étendait aux friches et aux fermes périurbaines, l'agriculture urbaine ne remplacera donc pas, selon Christine Aubry, l'agriculture traditionnelle.

Elle peut, en revanche, contribuer à l'autonomie alimentaire des villes, en plus de promouvoir les circuits courts et de reconnecter les urbains au rôle fondamental des agriculteurs.

 

Et la pollution atmospérique?


Une autre question brûle les lèvres. Certes, ces cultures n'utilisent pas de pesticides, mais les légumes poussent dans l'air pollué des villes. Restent-ils comestibles ? Les chercheurs d'AgroParisTech se sont penchés sur les taux de particules fines et autres polluants contenus dans ces végétaux.

Bonne nouvelle : ils sont en dessous des seuils de détection. Mais cela ne signifie pas que ce serait le cas partout et tout le temps. En cas de dépassement des seuils, tout dépend du type de particules trouvées.

Ainsi, si les émissions d'oxydes d'azote et d'oxydes de soufre ne présentent pas de risque, elles réduisent les rendements agricoles. À l'inverse, absorbés, des polluants comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques liés au trafic automobile sont potentiellement mutagènes et cancérigènes. Or, aucune norme ne les encadre encore dans les cultures.

Côté métaux lourds, pas d'inquiétude : les légumes urbains affichent des concentrations cinq fois inférieures aux seuils de toxicité définis par l'OMS, comparables à celles des légumes du supermarché.

 

Le hors sol pour doper les rendements


Le grand atout de l'agriculture urbaine est ailleurs. À l'heure de la high-tech, cette agriculture pourrait bientôt doper ses rendements grâce aux techniques hors-sol, à l'image des serres ultra-optimisées de la start-up parisienne Agricool.

Ses fraises poussent dans des containers étagés à l'humidité et à la température contrôlées, sous la lumière modulable de LED et nourries aux racines par des gouttelettes d'eau et de nutriments finement pulvérisées.

Ambition annoncée : produire sur 30 m2 la même quantité de fraises que sur 4 000 m2 en plein champ, soit un rendement 120 fois supérieur !

Un chiffre exagéré ? Pas si sûr. Car ces techniques permettent d'optimiser la croissance des plantes et peuvent déjà multiplier le rendement au m2 par 10. Et la culture en étages démultiplie encore le rendement, à surfaces au sol égales.

Reste la question des qualités gustatives et nutritives de ces végétaux. Peu d'études scientifiques éclairent ce point. L'Association française d'agriculture urbaine professionnelle met en avant leurs avantages par rapport à ceux cultivés en serres hydroponiques, notamment les tomates vendues en supermarché : le circuit court permet de cultiver des variétés plus goûteuses - au lieu d'être plus résistantes au transport - et de les pousser à maturité.

 

Pertinence écologique?


Pourtant, le succès de cette agriculture ultra-productive n'est pas assuré. Le contrôle fin de l'humidité, de la température et de l'éclairage sur de grands locaux est extrêmement complexe, il implique de gros investissements en matériel et d'importantes dépenses énergétiques. Rentabiliser l'espace limite aussi la production aux végétaux de faible encombrement et à croissance rapide, comme les salades.

Enfin, devant cette débauche d'infrastructures et d'électronique, des chercheurs remettent en cause, calculs à l'appui, la pertinence écologique globale de ces systèmes.

Cela peut faire sens sous des climats extrêmes, dans des environnements urbains ultra-denses, dépendants des importations de nourriture, ou bien pour raccourcir les trajets des légumes jusqu'aux villes. Mais à Paris, où l'on peut s'approvisionner en légumes frais dans un rayon de 200 km, l'intérêt est moins évident.